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L'Enquête : "Profession RTE"

XXIIèmes Journées européennes des représentants territoriaux de l’Etat 28 au 30 mai 2015 – Istanbul (Turquie) 
Synthèse générale par Thierry Aumonier, administrateur délégué de l’AERTE 
L'Enquête : "Profession RTE"

Quel beau sujet que « profession RTE » pour ces XXIIèmes Journées !

Quel beau sujet pour clôturer 23 ans d’activité à la direction de l’AERTE !

Mais quelle responsabilité, avec ce sujet qui résume déjà le métier, de devoir faire la synthèse de la synthèse !

Au-delà de l’enquête AERTE/OCDE, qui apporte précisions et éléments de comparaison de l’exercice d’une profession comparable mais différente selon les pays. Au-delà des « fiches pays » que les résultats de l’enquête vont venir compléter sur nos sites internet pour donner un regard exceptionnellement informé et complet sur le métier de RTE en Europe, l’enjeu de cette synthèse, en dégageant les bonnes pratiques des uns et des autres, est de montrer ce qu’est un « bon RTE », sinon un RTE idéal.

Or, on n’est pas RTE pour soi-même. On est un bon RTE à travers le regard que portent sur vous les citoyens, les acteurs économiques, les collectivités territoriales, le Gouvernement et celui qu’on porte sur soi-même. Ce sera le plan de mon intervention.

Pour les citoyens.

Les citoyens d’abord, parce que les RTE sont d’abord au service des citoyens. Commissaires du Roi ou préfets napoléoniens, les RTE sont plongés dans l’incontournable contexte d’une crise économique, financière et sociale, ainsi que d’un éclatement de la société qui renforce le besoin de repères et de structures.

 Ce ne sont pas les richesses économiques et matérielles qui suffisent à garantir la prospérité des territoires. Ce n’est pas même la qualité et le niveau d’éducation de la population qui y vit. Ce sont les institutions qui font la force des nations. C’est pourquoi, la promotion de l’initiative par une fonction d’animation, de la coopération par une fonction de coordination, et de la confiance par une fonction de régulation, formelle et informelle, ouvre une voie royale à l’avenir des RTE en Europe. Ancrés dans un territoire et indépendants des intérêts particuliers, attachés à l’impartialité, ils sont plus à même que quiconque de favoriser l’initiative, la coopération et la confiance.

 La chute du mur de Berlin, il y a 25 ans, a provoqué en Europe l’émergence d’un certain nombre de pays nouveaux, de taille géographiquement modeste. Cela a eu pour effet d’entretenir l’illusion que la décentralisation suffit mais aussi la tentation des administrations centrales d’intervenir sur le terrain sans y entretenir de présence. L’expérience a montré que l’exigence de proximité des citoyens appelle une représentation territoriale de l’Etat, capable de les écouter ; des RTE qui soient des professionnels de la relation et qui, pour les citoyens, constituent un recours. Encore faut-il que les RTE aient l’humilité d’exercer leur devoir de proximité et le courage d’assumer leurs fonctions d’autorité, en assumant leur devoir de neutralité, au service de l’intérêt général.

Pour les acteurs économiques

Notre partenariat avec le Groupe VEOLIA, toutes ces dernières années, nous l’a bien montré : lorsqu’on est dirigeant d’entreprise, et plus encore quand on est un grand opérateur privé de service collectif, on a besoin :

· Qu’il y ait un « patron » public ;

· Qu’on sache qui est ce patron ;

· Qu’il puisse constituer un recours.

A vous, entreprises et grands opérateurs privés, de dire quels sont vos besoins. A vous, RTE, de favoriser la bonne adéquation de la réponse de tous les acteurs publics à ces besoins. Si le dialogue social est l’affaire des entreprises et des partenaires sociaux, le conflit social, en faisant sortir le dialogue social du cadre économique, interpelle forcément le RTE. Qu’il dispose ou non de l’autorité sur les services de contrôle économique et social, qu’il soit ou non le responsable de la mise en œuvre de la force publique, le RTE peut être un levier de rapprochement et un facilitateur de solutions. L’administration est souvent vécue comme celle qui a le pouvoir d’empêcher. Le RTE a, lui, pour vocation d’être celui qui rend les choses possibles.

De manière générale, face aux acteurs économiques, les faiblesses de gouvernance sont souvent un frein au développement. Le RTE doit faire face à une évolution qui rend les sujets à la fois de plus en plus difficiles à comprendre et à communiquer car nous sommes entrés dans l’ère de la complexité. Il n’est pas attendu de lui d’être un expert mais d’être un « ensemblier » de l’action publique et, parfois, de l’action privée.

La spécialité du RTE, c’est d’être un généraliste ! Face aux acteurs économiques et sociaux, le RTE apparaît d’abord comme une sorte d’agent d’assurances, qui doit prévoir les crises afin de maîtriser les risques. Il doit planifier comme l’agent d’assurances doit modéliser. Mais son rôle va plus loin : il ne se contente pas d’observer et de constater pour indemniser. Le RTE doit organiser bien souvent la gestion de la crise et le retour à la normale. Et d’ailleurs, jugé parfois inutile et coûteux dans la période de veille et de prévention, on se tourne volontiers de toutes parts vers lui lorsque la crise est venue, jugeant tout naturel qu’il soit celui qui en assure la gestion…

Pour les collectivités territoriales.

Il est parfois admis dans nos pays comme une évidence que la décentralisation est synonyme de progrès et de démocratie. Pourtant, les transferts de compétences peuvent avoir tendance au dérapage et la montée des autonomies peut menacer la stabilité des Etats. L’exemple de l’Ecosse et de l’Espagne mérite à cet égard d’être observé avec soin. C’est d’abord de proximité et d’équité qu’ont besoin les citoyens, quel que soit le système qui les leur assure.

Face aux inégalités entre les territoires et aux risques de clientélisme, l’Etat territorial n’est pas encore obsolète !

Deux traditions coexistent en Europe : celle des pays où la présence de l’Etat sur le terrain est historiquement et culturellement naturelle, avec le risque pour le RTE de juger que sa fonction existe de droit, indépendamment des résultats de son action ; celle des pays où le RTE exerce une fonction avant de détenir un statut, où les résultats de son action sont naturellement au cœur, non seulement de ses préoccupations, mais de l’avenir de sa fonction. Au-delà de ces traditions différentes, qui s’estompent, un impératif commun s’impose désormais à tous les RTE européens : celui de leur efficacité et de leur efficience. Que le pays soit centralisé ou décentralisé, l’Etat doit désormais se justifier. Pour ce faire, les tâches ne manquent pas.

Aujourd’hui, par exemple, à l’heure où la croissance européenne a tendance à se concentrer sur les métropoles, l’Etat territorial doit organiser la diffusion des fruits de la croissance sur l’ensemble des territoires. L’égalité des territoires est un vain mot. Il y a des atouts, des points faibles et des complémentarités de ces territoires, qui appellent une intervention active de l’Etat territorial. La fonction la plus communément exercée par les RTE européens vis-à-vis des collectivités territoriales est celle du contrôle de légalité de leurs délibérations et de leurs décisions. Bien sûr, cette fonction assure une prise très concrète des RTE sur les collectivités dont ils assurent le contrôle. Cela dit, il s’agit de plus en plus couramment d’un contrôle strictement juridique, parfois formel et qui est soumis à l’appréciation finale du juge. Ce n’est sans doute pas par l’exercice du contrôle de légalité que le RTE assurera demain un rôle réel vis-à-vis des collectivités territoriales. C’est plutôt en étant celui qui saura faire dialoguer et se coordonner les divers niveaux de collectivités et trouver, dans le respect de la légalité, des synthèses d’opportunité.

Cela dit, il n’est pas sûr que l’avenir d’une fonction de conseil des RTE ne soit pas lié à celui de leur fonction de contrôle.

Pour le Gouvernement et les politiques.

Qu’il ait acquis personnellement une légitimité politique par l’exercice de fonctions de responsabilité ou qu’il soit fonctionnaire de carrière, le RTE se trouve en permanence au contact des politiques. Ils en attendent avant tout un rôle de régulation. Les pessimistes diront que, aux yeux d’un Gouvernement, le meilleur RTE est celui dont on n’entend jamais parler… mais ce sont des pessimistes !

A une époque où la régulation ne peut plus se faire par la seule application de la loi, le RTE ne peut assurer efficacement ce rôle de régulation que s’il sait aussi être un facilitateur et que, sans cesser de faire preuve de loyauté, il témoigne de l’impartialité nécessaire à sa crédibilité. D’où l’importance du positionnement qu’il doit savoir occuper sur le terrain. Il doit trouver le juste équilibre entre la nécessité de prendre de la hauteur et celle d’être proche des citoyens et des acteurs de terrain. C’est sans doute cela, « incarner l’Etat », c’est-à-dire lui donner de la chair sans en trahir la nature. C’est d’un RTE qui avait réussi que j’ai entendu dire cette jolie phrase : « Le préfet, c’est l’Etat qui vous serre la main ».

Si le RTE n’est pas d’abord un homme ou une femme de communication, il doit en tout cas savoir communiquer pour savoir rassurer.

 Au total, la professionnalisation de la fonction de RTE s’impose tendanciellement par la diversité croissante des compétences requises et par la durée d’acquisition de l’expérience nécessaire. Il n’y a plus de place pour des RTE « amateurs ». On peut leur reprocher d’en faire trop mais on ne leur pardonnera pas de ne pas en faire assez. Dans cet esprit, l’expérience hongroise récente de création de RTE est très intéressante si l’on observe le fait que, pour créer la fonction, on a nommé 70 % des RTE parmi les députés, ce qui assurait leur légitimité politique, mais que, au moment de leur renouvellement, ils doivent choisir entre les deux fonctions. N’oublions pas, dans les pays de l’Union européenne, la dimension communautaire de la fonction de RTE. Les échanges qui animent l’AERTE participent, modestement mains concrètement, à la construction européenne, quelquefois par des rapprochements, toujours par une meilleure compréhension entre tous.

Pour le RTE lui-même.

Etre un bon RTE, c’est d’abord faire la preuve de sa capacité à assumer ses fonctions, avec le cocktail de qualités professionnelles et de qualités personnelles, très variées, qu’elle exige et que vous avez si bien su mettre en exergue dans vos réponses à l’enquête qui a servi de base aux travaux de ces Journées. C’est ensuite exercer un rôle dans le respect de la loi, en toutes circonstances, mais aussi d’une éthique personnelle et d’une déontologie professionnelle. Celles-ci ne se résument pas au respect de la confidentialité ou au devoir de réserve, évoqués durant nos Journées. C’est aussi la question du juste équilibre entre loyauté au Gouvernement et garantie de l’égalité de traitement des citoyens et des collectivités. C’est, bien sûr, le goût du service public et le culte de l’intérêt général. C’est enfin, savoir faire preuve de discrétion, voire de modestie. Le RTE est une sorte de ciment territorial, sans lequel tout risque de s’écrouler mais qui ne doit pas trop se voir… Mais il est difficile d’être un bon RTE tout seul. C’est l’intérêt d’une confraternité avec les collègues du même pays. C’est l’intérêt d’associations nationales vivantes et conviviales de RTE. C’est enfin, bien sûr, l’intérêt d’une participation active à l’AERTE, qu’un préfet français a osé appeler « l’Internationale des Préfets », en leur proposant le slogan : « RTE de tous les pays, unissez-vous ! ». C’est d’autant plus nécessaire et justifié que, à travers la grande diversité des systèmes administratifs qui sont les nôtres, on s’aperçoit, par nos rencontres, que certains pays sont moins centralisés qu’il n’y paraît et d’autres davantage que l’idée que nous nous en faisons.

C’est ce qui faisait dire à J.M. Bricault, dans sa synthèse de l’an dernier à Liège, que « les RTE ont un sérieux air de famille ».

Conclusion

Le RTE possède une position qui dépasse ses attributions. La fonction de RTE résiste bien. L’exemple du Land de Hesse, en Allemagne, en témoigne pour le centre de l’Europe. Celui de l’Italie pour le Sud. Celui enfin de la Finlande au Nord. La fonction n’est ancrée ni d’abord par la culture de gouvernance d’un certain nombre de pays, notamment tous ceux où les RTE sont plus ou moins les héritiers du préfet napoléonien, ni même, quand elle existe, par la centralisation de la gestion des territoires, appelant logiquement sur le terrain la présence de RTE. Ce que montre l’histoire des Etats, d’Alexandre Le Grand à Mustapha Kemal en passant par l’empereur Auguste, dont il ne faut pas oublier qu’il fut préfet, c’est que la fonction de RTE se justifie, dans n’importe quel Etat, par le double impératif d’assurer à la fois la sécurité et la proximité dans les territoires (voir Alexandre Le Grand, initiateur du RTE, avec ses gouverneurs).

Aujourd’hui, en Europe, le concept de sécurité a considérablement évolué. Elle est de moins en moins un enjeu extérieur justifiant la nomination de RTE-gouverneurs militaires. Elle n’est pas seulement un enjeu intérieur de sécurité publique, de lutte contre la criminalité ou de maintien de l’ordre, fonction qui ne sont pas toujours exercées par les RTE en Europe. Comme l’a dit Mustapha Kemal, une « souveraineté qui repose sur les canons ne peut se maintenir ». Les enjeux actuels sont aussi ceux de la sécurité sanitaire, alimentaire, industrielle, etc…

Mais surtout, les enjeux de sécurité sont devenus transverses. Le concept actuel est celui de la sécurité globale. La lutte contre le terrorisme n’est pas indépendante de la sécurité alimentaire, énergétique, ou environnementale. C’est pourquoi, quelle que soit l’étendue de ses fonctions, il y a un rôle naturel de synthèse pour le RTE en Europe. Il est celui qui, au-delà de points de vue particuliers, doit prendre une vue d’ensemble de son territoire, pour en comprendre les ressorts, en favoriser la cohésion et, oserai-je dire, l’aimer. En cela, proximité et sécurité sont inséparables.

Plus que jamais, la fonction de RTE est nécessaire à l’avenir de nos pays Ceux-ci, pour exercer une réelle influence sur leur territoire, devront être capables à la fois de démontrer l’utilité de leur fonction et de susciter la confiance dans leur manière de l’exercer. Par rapport au passé, même récent, nous continuons d’évoluer dans un monde de plus en plus globalisé. Nous avons besoin de RTE nouveaux pour un monde en perpétuel changement. Aucun RTE ne peut considérer le territoire dont il a plus ou moins la charge comme indépendant des autres. Les territoires sont de plus en plus interdépendants, à l’échelle régionale, nationale, européenne, voire mondiale, au sein d’ensemble politiques, économiques, sociaux et culturels dont ils relèvent. C’est dire l’utilité d’une collaboration confiante et active entre les RTE, arrimés à un territoire, et de grands établissements de formation, engagés dans celle des RTE et observateurs transversaux et transfrontières de l’organisation et de la gestion territoriales. La participation à nos travaux des instituts de formation associés à l’AERTE est une richesse, qui justifie pleinement sa formalisation au travers du « Comité académique », dont le Conseil d’administration de l’Association a décidé la création en novembre dernier.

C’est une fenêtre ouverte sur le développement de votre réflexion prospective, vous qui êtes souvent rattachés à des ministères qui se définissent volontiers comme « ministères de l’urgence ». C’est dire aussi l’intérêt de l’échange d’expériences et de bonnes pratiques professionnelles entre RTE de toute l’Europe.

 C’est dire enfin à quel point, demain plus encore qu’aujourd’hui, je suis sûr que l’AERTE s’imposera naturellement comme une nécessité.

Bon vent et longue vie à l’AERTE !

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