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Haute fonction publique : "La réforme ne modifie pas ce qui fait l’ADN de la préfectorale" (Christophe Mirmand, ACPHFMI)

AEF info

Par DANAE CORTE  

Publiée le 21/09/2023 à 12h19

À moins de quatre mois de la dernière campagne d’intégration, presque tous les membres du corps préfectoral mis en extinction ont déjà opté pour le nouveau corps des administrateurs de l’État. Après une année de discussion avec l’administration, Christophe Mirmand, président de l’ACPHFMI, préfet de la région Paca, de la zone de défense et de sécurité sud et des Bouches-du-Rhône, revient sur les fondements de la réforme de la haute fonction publique, ses principales évolutions pour la préfectorale et ses points d’attention pour l’emploi et le parcours professionnel des préfets. Il évoque aussi plus largement les transformations encore nécessaires en termes de féminisation et de management, pour garantir l’attractivité de la fonction auprès des jeunes générations.

AEF info : Une partie de la réforme de la haute fonction publique arrive à son terme, avec la dernière campagne d’intégration au nouveau corps des administrateurs de l’État prévue pour décembre 2023. Quelles en sont les principales conséquences pour la préfectorale ?

Christophe Mirmand : La réforme ne modifie pas de façon substantielle ce qui fait l’ADN du corps préfectoral, notamment sa logique de professionnalisation et de filière qui se construit par le fait d’être affecté sur des postes variés, comme ceux de directeur de cabinet, de secrétaire général, de sous-préfet d’arrondissement, ou de Sgar. Le décret portant règlement d’emploi prévoit, à l’image de ce qui était inscrit dans le décret du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets, le fait que deux tiers des préfets doivent être nommés parmi les hauts fonctionnaires ayant effectué au moins cinq années dans leur parcours professionnel en territoriale, dont trois années comme sous-préfet. Il s’agit d’un élément qui garantit cette professionnalisation à laquelle sont attachés naturellement les membres de l’association, mais plus largement l’ensemble des hauts fonctionnaires qui sont affectés dans l’administration préfectorale.

Le deuxième élément important est le fait que cette réforme, d’une certaine façon, consolide ce qui a toujours été antérieurement dans la culture mais également dans l’identité du corps préfectoral, c’est-à-dire son recrutement extrêmement divers. Interministériel d’abord, puisque de nombreux sous-préfets ou préfets sont issus d’autres corps de la haute fonction publique de l’État. Ce sont également des magistrats de l’ordre administratif, judiciaire, ou encore des anciens militaires amenés à effectuer un deuxième parcours dans l’administration préfectorale.

Il existe également des préfets ou des sous-préfets originaires d’autres horizons professionnels, notamment du secteur privé, des collectivités territoriales ou des autres versants de la fonction publique. Cela a toujours existé dans les modes de nomination et dans les parcours professionnels qui étaient organisés par le passé. Il s’agit de l’un des principes fondateurs de la réforme qui, d’une certaine façon, avait déjà été préfiguré pour le corps préfectoral. Il n’y a pas véritablement de changement majeur induit par cette réforme de la haute fonction publique en termes de diversification du corps. Ces changements ne sont pas de nature à remettre en question son identité.

 

AEF info : Comment percevez-vous l’évolution de cette réforme dans le temps et ses changements induits pour la préfectorale ?

Christophe Mirmand : L’important est de voir si la réforme continuera de permettre d’attirer des potentiels vers les services de l’État déconcentrés. L’autre question est de savoir si nous serons véritablement en mesure de garantir que les sous-préfets ayant effectué un parcours exemplaire et occupé plusieurs postes, qui ont d’une certaine façon été les chevilles ouvrières de l’administration territoriale, puissent accéder au moins tout autant que par le passé à des emplois nommés en Conseil des ministres et notamment à des emplois de préfet afin de reconnaître leur professionnalisation et leur engagement au service de l’État.

Nous sommes désormais inscrits dans des parcours professionnels qui ont vocation à être encore plus interministériels. Antérieurement, le corps préfectoral, dans sa stratégie de rayonnement, se projetait déjà de façon très régulière au sein d’autres administrations, d’autres ministères et vers les collectivités territoriales. La réforme va amplifier cette évolution. Mais puisqu’il n’y a plus de corps au sens statutaire du terme et que les fonctionnaires concernés auront vocation à appartenir au corps des administrateurs de l’État, il faut s’assurer que le déroulement de carrière dans la durée puisse tenir compte de cet enchaînement nécessaire d’expériences professionnelles successives dans une logique de variété des parcours. L’essentiel est que nous soyons bien dans une construction par le gestionnaire de ces parcours. La Diese a un rôle très important à jouer.

Cette logique enrichira forcément les parcours professionnels et permettra également d’apporter une réponse à ce qui peut parfois être perçu comme une usure, du fait de l’intensité des fonctions préfectorales. La construction des parcours professionnels est le point le plus ambitieux dans cette réforme, et c’est là-dessus que son succès sera effectivement mesuré. Rien ne serait pire que d’être dans une logique d’attente pour des hauts fonctionnaires qui ne se verraient pas offrir de nouvelles perspectives. Cela démonétiserait le principe de fluidité des parcours qui est recherché par la réforme. Il faut que ces changements puissent être construits et non subis.

 

AEF info : Selon les derniers chiffres communiqués par la Première ministre, 85 % des préfets et 95 % des sous-préfets ont déjà intégré le nouveau corps des administrateurs de l’État (lire sur AEF info). Ce sont les membres des corps mis en extinction qui ont le plus rapidement et efficacement usé de leur droit d’option (lire sur AEF info). Comment l’expliquez-vous ? 

Christophe Mirmand : Nous pouvons d’abord parler d’une forme de pragmatisme puisque les conditions dans lesquelles les régimes indemnitaires évolueront seront plus favorables dans le corps des administrateurs de l’État par opposition aux corps mis en extinction. Il existe aussi une forme de loyauté à l’égard de l’institution qui explique peut-être le fait qu’un grand nombre de hauts fonctionnaires, de préfets ou de sous-préfets, aient fait ce choix-là.

Le travail fait par l’ACPHFMI a été celui d’une discussion et d’une concertation avec le secrétariat général du ministère de l’Intérieur et avec les cabinets pour permettre d’inscrire dans le décret portant statut d’emploi les dispositions garantissant la professionnalisation. Je crois que la confiance qui a marqué cette année de discussions avec le ministre de l'Intérieur, le ministère de la Fonction publique, le cabinet du Premier ministre, a aussi sans doute joué dans la façon dont la réforme a été appréhendée. Ce climat globalement confiant et constructif a sans doute permis d’aboutir au résultat que vous évoquez.

Par ailleurs, les principes de la réforme ne sont pas antagonistes de la culture du corps. D’une certaine façon, la réforme élargit des principes que nous avions déjà mis en œuvre et pratiqués dans le corps préfectoral avant qu’elle n’intervienne.

 

AEF info : Considérez-vous que l’autorité du ministre de l'Intérieur y est pour quelque chose ? Le ministère a-t-il œuvré en ce sens pour faire adhérer les préfets à la réforme ou étaient-ils déjà acquis à sa cause ?

Christophe Mirmand : Le ministre de l'Intérieur a été attentif aux conditions dans lesquelles cette réforme a été préparée et discutée. Il a été attentif par l’intermédiaire de son cabinet, par l’intermédiaire également du secrétariat général du ministère, aux souhaits, aux attentes et peut-être parfois aux inquiétudes qui pouvaient être relayés par l’association.

Il est vrai que le caractère symbolique du corps préfectoral tel qu’il existait antérieurement était un élément sensible. Il existe sans doute une forme de nostalgie pour certains, mais il est important de ramener ce sentiment à sa juste mesure en soulignant que la création du corps en tant que tel, au sens statutaire du terme, est relativement récente. Celle-ci date de l’immédiate après-guerre, alors que l’administration préfectorale, l’emploi de préfet ou de sous-préfet remonte au consulat, c’est-à-dire à plus de deux siècles. Le métier préfectoral, le rôle du préfet dans les territoires, le rayonnement incarné par cette fonction, sa responsabilité et sa légitimité ne sont pas remis en cause par la réforme. Cette logique de professionnalisation est très importante, parce que ce métier s’apprend par le fait d’être aux côtés d’un aîné qui vous initie à la fois à ses usages mais également à sa complexité et à sa difficulté. Cet aspect n’est pas non plus remis en cause par la réforme.

AEF info : Le dernier mouvement de préfet, qui comptait quelques profils originaux, ne constituait selon vous pas de "révolution" en termes de diversification administrative ou d’ouverture vers la société civile (lire sur AEF info). La réforme va-t-elle selon vous amener des changements plus importants avec le temps ? Comptez-vous tirer un bilan ?

Christophe Mirmand : Il s’agit d’abord de s’assurer que, dans la durée, les nominations décidées par le président de la République, sur proposition du ministre de l'Intérieur, entretiendront bien ce principe de professionnalisation et que les préfets nommés seront déjà par leur expérience antérieure, pour l’essentiel d’entre eux, des connaisseurs de l’administration territoriale, quel que soit le cadre administratif de cette expérience. Ils sauront ce qu’est un élu local, la manière de travailler avec les collectivités et d’entretenir les relations avec différents services de l’État.

Le second élément important est de suivre dans la durée l’évolution de ces néo préfets arrivant d’autres horizons professionnels et la manière dont se dérouleront leurs parcours professionnels. Cela nous amènera bien évidemment collectivement à s’assurer que l’accompagnement qui leur est dispensé pour prendre leur poste est à la hauteur des attentes et leur permettre, les premiers mois en tout cas, de s’appuyer sur cet accompagnement.

Il n’y a aucune défiance ou aucune critique dans ce que j’indique, il s’agit simplement de la difficulté à laquelle tout un chacun peut être confronté lorsqu’il découvre un nouvel horizon professionnel, avec sa culture propre.

AEF info : Outre cet enjeu de diversification des profils, la question de la difficile féminisation du corps préfectoral est clairement posée (lire sur AEF info). Une loi adoptée définitivement en juillet 2023 oblige à 50 % de primo nomination de femmes à des postes d’encadrement supérieur et de direction (lire sur AEF info). Cet objectif vous semble-t-il atteignable pour la préfectorale ?

La loi Sauvadet de 2012 prévoyait auparavant cette diversification sur 40 % des primo nominations. Malgré tout, nous ne sommes pas dans une situation de parité. Il faut sans doute tenir compte de la situation d’où nous venons. La féminisation du corps préfectoral a été progressive et remonte aux années 1980. Nous avons aujourd’hui un nombre de préfètes de région et de préfètes de départements qui est significatif.

Mais je crois qu’il y a peut-être un frein par rapport à la plus grande difficulté à concilier la vie familiale avec les exigences de ces métiers. Les charges familiales sont plus souvent assumées par des femmes que par des hommes et d’une certaine façon, je pense qu’il y a une hésitation d’un certain nombre de femmes hauts fonctionnaires à assumer des responsabilités qui exigent d’elles une totale disponibilité et un nomadisme administratif qui ne tient pas toujours compte de ces contraintes. Il est difficile d’établir dans quelles proportions cette plus difficile conciliation peut être un frein à l’accès à certaines responsabilités. Ce constat concerne la haute fonction publique d’une manière globale et y compris dans l’administration centrale, même si j’ai plutôt tendance à penser que cela joue de façon plus forte pour les emplois préfectoraux.

Cette limite devrait être mieux prise en compte par le gestionnaire, concernant notamment les dates de nomination, le fait de mieux tenir compte des contraintes d’enfants scolarisés pour essayer d’éviter de faire des mutations dans l’année scolaire par exemple. Cela peut également inciter à réfléchir à la question des horaires de travail, souvent extensibles. Je trouve qu’il est naturel et nécessaire que la gestion des emplois de l’administration préfectorale se préoccupe de cette question de l’attractivité du métier d’une part et donc bien évidemment de sa féminisation.

AEF info : Des affaires récentes d’accusation de sexisme et de harcèlement sexuel impliquant des préfets interrogent sur la prévention faite en la matière. Les préfets sont-ils assez sensibilisés sur les questions de harcèlement au travail ?

Christophe Mirmand : Le sexisme et le harcèlement sexuel, ce dernier étant évidemment juridiquement plus grave, sont répréhensibles et sont sanctionnés lorsqu’ils sont révélés, soit par des enquêtes administratives internes, soit le cas échéant, par le dépôt de plainte de la personne qui estime en être l’objet. L’administration préfectorale se doit bien sûr d’être exemplaire parce que le préfet ou le sous-préfet incarne l’État, le représente et le personnifie. C’est pour cela que le ministère de l’Intérieur, le gestionnaire du corps et le secrétaire général du ministère sont extrêmement attentifs à ce type de situation pour pouvoir éviter des comportements anormaux, voire le cas échéant pour sanctionner des fautes quand elles sont avérées.

Il est vrai par ailleurs qu’il s’agit de faits qui sont aujourd’hui de plus en plus sanctionnés, à juste titre. L’évolution de la société rend aujourd’hui nécessaire d’être extrêmement attentif à des comportements qui n’ont plus leur place dans le corps préfectoral, dans l’administration préfectorale, et plus largement dans l’espace professionnel. L’administration ne supporte plus et n’admet plus aujourd’hui les comportements managériaux pathologiques.

AEF info : Quel enjeu identifiez-vous à ce sujet ?

Christophe Mirmand : La question du management est sans doute l’un des enjeux majeurs pour notre métier. Il s’agit d’un métier d’autorité, qui inscrit son quotidien dans l’urgence, ce qui peut générer un stress professionnel et peut parfois rendre plus vulnérables, aussi bien celui qui exerce l’autorité que ses collaborateurs, à des formes de management toxiques. Cela suppose de former les fonctionnaires depuis l’Institut national du service public jusqu’à la formation continue dans les administrations, et que nous rappelions en permanence cette exigence d’un management équilibré.

Cela implique également que nous ayons une détection rapide de tels comportements. C’est notamment le rôle du Csate d’établir les responsabilités et le cas échéant d’en tirer toutes les conséquences. Il s’agit d’une préoccupation importante dans les services de gestion du ministère et chez les préfets.

AEF info : En quoi l’ACPHFMI participe-t-elle de ces changements au sein du corps ? Quelle est sa feuille de route pour les prochains mois ?

Christophe Mirmand : L’association ne s’est pas mise dans une posture de refus ou de critique de la réforme, mais dans une volonté d’en accompagner la préparation en étant force de proposition et d’attirer l’attention de l’État sur les points qui nous paraissaient importants à préserver dans le décret portant statut d’emploi. Vient ensuite la pédagogie de la réforme vis-à-vis des membres de l’association et des collègues intéressés par ses contributions.

Une troisième dimension débattue récemment au conseil d’administration de l’association concerne l’accompagnement individualisé. Nous sommes une association professionnelle et dans notre relation avec l’administration, nous avons aussi vocation à accompagner les collègues qui le souhaitent dans leur relation avec leur gestionnaire. Cela peut être pour évoquer une situation individuelle dans le parcours, ou par rapport à un fait reproché à un haut fonctionnaire, dans une volonté de conseiller, d’appuyer, d’accompagner un collègue qui en exprimerait la demande, avec une démarche différente de celle d’un syndicat. C’est une mission qui est appelée à être de plus en plus développée, de même que celle de proposition, dans les relations avec l’administration.

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