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Introduction du groupe C "Impact sur les politiques économiques et sociales" - par Gérard Gavory, préfet de la Vendée, France

Journée de réflexion sur les impacts du conflit en Ukraine

Malmö - 14 avril 2023

 

Introduction du groupe C

Monsieur Gérard GAVORY, préfet de la Vendée (France)

Impact sur les politiques économiques et sociales (offre de ressources énergétiques et de produits agricoles, politique touristique et liberté de circulation internationale, climat social interne)

La guerre qui a éclaté en Ukraine en février 2022 est un évènement géopolitique majeur. En tant que tel, il remet en cause les équilibres antérieurs, pas seulement dans la sphère des relations internationales ; il a des impacts importants sur les équilibres économiques, au niveau global comme au niveau local, au plus près de la vie de nos concitoyens, des entreprises et des services publics.

Il est l’occasion d’une prise de conscience collective de nos dépendances, en tant qu’Etats et en tant qu’utilisateurs finaux, vis-à-vis de pays tiers, pour des matières premières essentielles.

 

On pense naturellement à l’énergie : l’Union européenne ne produit pas de pétrole, et l’extraction gazière n’est significative qu’en périphérie, qu’il s’agisse de la mer du Nord (Royaume-Uni, Norvège), de l’Afrique du Nord (Algérie), ou de la Russie. Bien que les prix de marché du gaz aient retrouvé leur niveau d’avant le début de la guerre en Ukraine, l’effet de fragilisation reste fort sur les entreprises qui ont été amenées à conclure des contrats pendant la période de prix les plus élevés. Cet épisode est également l’occasion de réinterroger le mécanisme de fixation des prix de l’électricité au sein de l’Union européenne, mécanisme qui a fait polémique en France ; la Commission a d’ailleurs commencé à formuler des propositions de réforme.

Les pénuries alimentaires consécutives au début du conflit ont bien davantage suscité la surprise, surtout pour un pays comme la France qui se pense, depuis l’après-Deuxième Guerre mondiale, comme autosuffisante sur le plan agricole. Le problème de l’huile de tournesol, avec ces rayons de supermarchés vides pendant plusieurs semaines, a choqué l’opinion publique. Les pénuries se situent également plus en amont de la chaîne de production agricole, une part très importante des engrais étant issue d’usines situées en Ukraine et en Russie.

Sur le plan de l’industrie, les analystes s’accordent sur le constat d’une perte de compétitivité à l’échelle européenne. Ce phénomène pourrait entraver le mouvement global de morcellement de la mondialisation, caractérisé par le retour de certaines productions sur le territoire européen, c’est-à-dire dans une plus grande proximité entre les étapes de la production et le consommateur final.

Sur le plan des grands indicateurs macro-économiques enfin, le phénomène le plus notable reste le retour à une inflation élevée, la contraction des PIB ayant été évitée, à l’exception de la Suède, en 2022. Si l’Euro a été, d’après les économistes, plutôt protecteur, force est de constater que certains États de l’Euro-zone sont plus touchés que d’autres, ce qui ne va pas sans provoquer des difficultés sur le plan social, la hausse des prix ne s’accompagnant pas d’une hausse généralisée des salaires. La nature de cette inflation et les mesures prises pour la réduire ne sont d’ailleurs pas sans conséquence sur les ménages et certains secteurs économiques clef : la hausse des taux directeurs de la BCE impacte directement le secteur de l’immobilier ; l’inflation persistante, qui concerne les services, notamment l’hôtellerie restauration, pourrait avoir un effet récessif sur le tourisme.

Il est vrai que la guerre en Ukraine n’est pas le seul facteur majeur expliquant les bouleversements économiques en cours.

La reprise consécutive à la crise sanitaire explique une bonne part de la reprise de l’inflation que l’ensemble des Etats européens connaissent, certes à des niveaux différents. Le problème des pénuries et des hausses des prix alimentaires s’explique également par des facteurs climatiques, comme le dôme de chaleur au Canada pendant l’été 2021 qui a fait chuter la production de moutarde ou la sécheresse en France en 2022, à l’origine d’une baisse des rendements. La dimension sanitaire n’est pas absente : je pourrai, dans un autre cadre, vous parler de l’épizootie de grippe aviaire qui a durement frappé l’ouest de la France, tout particulièrement la Vendée, provoquant là aussi des pénuries et des hausses de prix des œufs et de la volaille.

Il appartient sans doute aux spécialistes d’isoler ce qui découle de l’un ou de l’autre facteur de causalité économique ; des phénomènes de spéculation ou de reconstitution des marges des intermédiaires seraient également en cause. Pour ce qui concerne nos échanges du jour, il me semble clair que nos concitoyens, quel que soit notre pays d’origine, attribuent à la guerre en Ukraine l’essentiel de l’explication de la hausse des prix alimentaires et plus encore de l’énergie.

Sur le terrain, nous pouvons échanger sur les impacts constatés et leurs répercussions sociales.

- Pour ce qui concerne les prix de l’énergie, la hausse des factures place les ménages et de nombreuses entreprises en difficultés, malgré les mécanismes d’amortissement du choc mis en place par nos gouvernements respectifs ; l’enjeu est alors d’éviter la précarité énergétique, des situations de cessation de paiement voire des faillites d’entreprises, qui provoqueraient un ralentissement de l’activité et l’accroissement du chômage. Au-delà des mesures prises au titre de la sobriété énergétique qui ont contribué à réduire notre consommation (en France : – 20 tWh, soit – 9 % hors effets météo), des plans de délestage électrique et gaz ont été préparés. (La délégation du Canton de Vaud ainsi que Christian de Boisdeffre apporte plusieurs contributions sur ce thème.) L’approvisionnement en énergie et les mesures prises constitue le thème prioritaire de la présidence suédoise de l’Union européenne.

- En matière d’alimentation, la hausse des prix fragilise également la situation des particuliers comme des entreprises du secteur, qui sont de surcroît confrontées à des ruptures d’approvisionnement. L’absence de répercussions de ces hausses de prix sur les revenus des agriculteurs pose également problème, avec l’accélération du mouvement de fond de réduction du nombre d’exploitants et un nouveau développement de la colère du monde agricole, qui, il est vrai, trouve pour le moment d’autres sujets de cristallisation. (Pascale Trimbach apportera un éclairage sur les enjeux agricoles.)

Pour prendre le cas particulier de la France, il est probable que ces tensions sur le pouvoir d’achat contribuent au niveau atteint par la contestation sociale autour de la réforme des retraites, en abaissant la capacité collective à accueillir une réforme structurelle de ce type ; ce qui engendre des problématiques de finances publiques, de gouvernance et d’ordre public qui viennent s’ajouter aux enjeux proprement sociaux.

Pour la réflexion qui va être la nôtre ce matin, je vous propose de limiter la place des constats, indispensables pour fonder nos réflexions communes, pour identifier les leviers qui peuvent être les nôtres, en tant que représentants territoriaux de l’État en Europe, à la fois sur le plan curatif et sur le plan prospectif.

Dans les responsabilités qui sont les nôtres, nous devons assurer la protection des populations, par la mise en œuvre des dispositions sociales, que nous devons faire connaître et rendre accessibles à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Protection également au travers du maintien de l’ordre lorsque les impacts économiques et sociaux nourrissent des mouvements de protestation, mais c’est l’objet d’un autre groupe de travail. Il est intéressant de mesurer l’opinion de la population, en particulier des jeunes vivant dans les quartiers populaires. (Nicole Isnard fera un point sur le sujet.)

De façon plus prospective, j’ai la conviction que notre responsabilité consiste également à profiter de cette crise internationale comme un levier pour faire évoluer certains choix de politiques publiques locales et d’entreprises sur nos territoires.

Je pense que nous pouvons contribuer à orienter dans la bonne direction les incitations induites par la situation économique : la hausse des prix des hydrocarbures rend les techniques de production d’énergies décarbonées plus compétitives, comme l’éolien, le solaire voire l’hydrogène verte ; l’opinion d’une population qui reçoit des factures de gaz et d’électricité en forte hausse peut contribuer à améliorer l’acceptabilité d’installations jusqu’ici décriées. Autre exemple, les prix du gaz et le poids symbolique de la dépendance à une puissance hostile peut favoriser le développement de la méthanisation des déchets organiques, agricoles ou ménagers, c’est-à-dire jouer le rôle de déclencheur pour des investissements publics et privés.

Afin de compléter cette introduction générale à nos travaux, je propose à nos collègues de prendre la parole pour partager leur contribution au diagnostic des impacts économiques et sociaux de la guerre en Ukraine.

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