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Le temps passe, les souvenirs restent - par Michela Signorini, sous préfète, Italie

Le temps passe, les souvenirs restent

 

En parlant d’Ukraine (2022)

 

Hier, 1er mars, j’ai rencontré Oxana, dans une pharmacie près de la Basilique de S. Sofia, (Église ukrainienne à Rome). Elle tenait dans sa main un petit papier froissé, et en même temps remplissait une boite en carton de médicaments de tout genre, seringues, désinfectants, pour un total de 500 euros. Presque un mois de son salaire, elle me dira plus tard. Moi aussi, j’étais là pour acheter des médicaments à envoyer par camion à Kiev, elle était à pied, je l’ai invitée à venir avec moi en voiture. Oxana a un fils de 21 ans, enrôlé dans le Donbass, et, loin à la frontière avec la Moldavie, son mari, 60 ans, volontaire malgré lui, pour défendre sa patrie. Avec conscience et peur, bien sûr, mais sans hésitation.

Elle est restée seule à Rome, comme beaucoup de femmes ukrainiennes, pour travailler, le cœur brisé.

 

Nous avons constaté qu’en Ukraine, la « patrie » a encore un sens.

 

Nous participons tous à cette guerre avec cœur et indignation, ayant aussi peur pour notre avenir, notre économie, mais en même temps avec participation et solidarité, vécue et filtré par les réseaux sociaux, la télé, la presse, en tout cas à travers un écran virtuel. Ce n’est pas nous qui sommes sous les bombes, ou qui dormons dans le métro, ou qui se cachons avec nos enfants dans des bunkers sans lumière ni chauffage.

 

On parle, on discute de stratégie militaire, des commandants experts ont été incommodés, sérieux évidement mais en même temps froid, qui parlent de défense, de cessez-le-feu, de bombes nucléaires ou à fragmentation, experts politologues, vents de guerre…

 

Des correspondants spéciaux nous font vivre depuis une semaine, minute par minute, une réalité aussi tragique qu’inattendue.

 

Je ne me souviens pas d’une implication aussi forte, même pas à l’occasion du 11 septembre, le jour après lequel tout a changé...

 

Peut-être parce que l’Amérique est plus loin…La perception de cette guerre est dramatique, comme toutes les guerres si près de nous, et dont on ignore l’issue finale.

 

Dans l’immédiat, nous ne pouvons que partager la douleur et les aspirations des nombreuses Oxana, qui souffrent avec dignité et travaillent pour aider leurs hommes restés à combattre et qui désormais n’ont plus de chez soi.

 

J’ai donc aidé Oxana à monter dans ma voiture avec sa boite pleine de médicaments sur ses genoux et nous sommes allées ensembles à livrer les fournitures à la Basilique.

 

J’aurai aimé en savoir plus sur son histoire, égale à beaucoup d’autres, mais différente dans sa singularité...mais le voyage était trop bref, et le respect pour cette dame aux yeux clairs gonflés de larmes silencieuses m’a empêchée d’aller plus loin…

 

Je lui ai juste demandé si elle avait des contacts avec les hommes de sa famille. Elle m’a répondu, à voix basse, que tous les matins, vers cinq heures, son fils lui envoyait un message téléphonique. Et que vous dit-il ?

Il me dit juste « maman je t’aime » …

Une petite vraie histoire, qui me ramène très en arrière... 

 

AERTE, octobre 2005, comité de liaison, Kiev et Louhansk 

 

C’était le mois d’octobre 2005, lorsqu’une délégation italienne de l’AERTE s’embarquait dans un vol pour Kiev, et après une brève escalade, est repartait dans la nuit pour la destination finale, lieu des travaux, Louhansk, dans la région du Donbass. Deux heures de voyage pour parcourir environ 800 kilomètres, en avion militaire privé. 

 

La délégation complète était composée de 25 fonctionnaires, dont deux d’Italie, représentant 16 pays européens, pour participer au “comité de liaison” prévu au sein de l’Association et pour définir le programme des Journées de Paris prévues en juillet 2006.

 

Une voie commune de partage et de collaboration du côté italien, qui proposait la simplification administrative, déjà très actuelle à l’époque, étendue, si possible, à la scène internationale.

 

L’objectif était de rapprocher les administrations publiques aux citoyens, acteurs responsables et conscients de la vie sociale. Un processus inévitable pour l’objectif d’un langage commun.

 

Arrivés à Louhansk, capitale de la région du Donbass, Alexey Danilov, avec son équipe nous ont accompagnés lors des visites des endroits les plus intéressants de la région. Presque dix ans avant le conflit en Crimée (avril 2014) qui aurait fragilisé les équilibres géopolitiques. Des visites qui, au regard de la situation dramatique actuelle, évoquent une signification émotionnelle particulière.

 

Nous sommes partis de la ville de Altchevsk, à environ 45 km de Louhansk.

Nous avons visité l’usine de traitement de l’eau équipés de casques de mineurs, peut-être pour nous protéger de...je ne me souviens plus quoi, ou peut-être pour simple folklore…La visite s’est conclue par une rencontre portant sur les questions d’environnement et sur la manière de résoudre les problèmes de filtrage d’eau potable pour à la population.

Ensuite, la ville de Stanytsia Louhanska, une petite agglomération urbaine d’environ 12 500 habitants, à 20 km de Louhansk, située à une centaine de mètres de la ligne qui sépare aujourd’hui la zone des rebelles pro-russes, qui, profitant de la position stratégique, ont commencé la conquête du territoire à partir de 2014. Le 17 février, selon les sources web, les rebelles ont bombardé la ville, un missile a frappé l’école et le 26 février la ville a été occupée par les forces russes.

 

J’ai l’impression de regarder un film de guerre, chaque commentaire parait superflu.

 

Au lieu de cela, je préfère me souvenir de l’atmosphère de cordialité qu’on nous a réservé : une visite au musée cosaque et une danse traditionnelle.

 

Une population au fort sentiment d’appartenance, fière de sa culture et de ces racines, à protéger, comme on a bien vu, coute que coute. Pour ce bref voyage dans le temps j’ai ressorti bien évidement l’ancien programme parce que les noms des villes, imprononçables, gisaient parmi les papiers, perdus dans une mémoire.

 

La rencontre avec les institutions territoriales européennes que nous représentons prend un sens douloureusement plus fort. Cependant, l’ensemble des souvenirs m’est apparu comme obscurcis par un voile transparent sur les visages pâles et les sourires mélancoliques.

 

Mêmes les photos de couleur m’ont procuré un sentiment de mélancolie certainement conditionné par la situation actuelle et par le souvenir d’un temps/époque de paix désormais lointain.

 

Cependant, Alexey Danilov, nommé chef du Conseil de sécurité nationale de décence, a déclaré (dans un vidéo, traduite ?) qu’il n’y avait pas de troupes russes à la frontière, mais il y avait une menace, que Poutine a décidé de déstabiliser l’Ukraine et « qu’il voulait que notre pays cesse d’exister dans les frontières actuelles...Enfin, s’il ne peut pas le faire, alors les armes pourraient être utilisées ».

La déclaration est datée du 30 décembre 2021.

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